Pour qui a connu l’époque des pellicules infrarouge couleurs, dominée par la Kodak Aerochrome, le rendu des images prises en infrarouge numérique a de quoi surprendre. En effet, les couleurs rouge/fuchsia de la végétation font place à un blanc lumineux, tirant vers le jaune vif suivant le filtre utilisé.
Dans cet article, j’aborde les étapes matérielles et logicielles à suivre pour obtenir un rendu Aerochrome infrarouge, avant de conclure sur les alternatives les plus populaires à ma méthode.
Afin de retrouver le rendu de la pellicule Aerochrome en numérique, il est indispensable de connaître ses spécifications spectrales. Pour rappel, en argentique, la pellicule fait office de capteur en numérique, soit une surface photosensible ayant sa propre plage de sensibilité spectrale et méthode de captation de la lumière et des couleurs.
Kodak a édité un guide complet traitant de toutes les spécificités de sa pellicule Aerochrome infrarouge. Cette documentation aborde notamment la sensibilité spectrale et la répartition colorimétrique dans les différentes couches de la pellicule.
La Figure 1 ci-à gauche nous renseigne sur la répartition des composantes rouge, verte et bleue, ainsi que de la composante infrarouge, au niveau de la pellicule lors son exposition puis lors de son développement.
La sensibilité spectrale de la pellicule s’étend jusqu’à 900nm. Sa répartition spectrale est la suivante :
- Une première couche sensible au bleu et au signal infrarouge.
- Une seconde couche sensible au vert et au bleu.
- Une dernière couche sensible au rouge et au bleu.
La sensibilité de toutes ces couches au bleu impose d’utiliser un filtre optique absorbant ce rayonnement lumineux. Kodak suggère un filtre jaune coupant à 500nm, type Tiffen 12. En combinant filtre jaune et pellicule Aerochrome, la répartition des composantes colorimétriques après le développement de cette dernière se fait comme suit :
- Couche rouge : signal infrarouge.
- Couche verte : rouge.
- Couche bleue : vert.
Au final, la plage spectrale captée par la pellicule Aerochrome combinée à un filtre jaune s’étend de 500nm à 900nm.
Application de la documentation Kodak en Aerochrome numérique
Avant la prise de vue
Afin de reproduire physiquement le rendu de la pellicule Aerochrome en photographie infrarouge numérique, il convient de conserver à la fois sa plage de sensibilité spectrale et sa méthode de répartition des composantes colorimétriques. Concernant la plage de sensibilité spectrale, il est nécessaire d’utiliser un appareil photo numérique défiltré en full-spectrum et de filtrer le rayonnement lumineux atteignant le capteur en combinant différents filtres :
- Un filtre jaune passe-haut coupant en-dessous de 500nm, type Tiffen 12.
- Un filtre passe-bas coupant au-dessus de 900nm, type MaxMax CC2.
Les différents tests et comparatifs que j’ai pu réaliser au fil de mes investigations ont fait ressortir que l’emploi du filtre MaxMax CC2 s’impose principalement avec les objectifs de l’époque argentique. En effet, ceux-ci bénéficient de traitements de surface optique peu performants comparés aux standards actuels. Au contraire, les traitements optiques des objectifs les plus récents absorbent fortement le rayonnement lumineux au-delà de 900nm. Si bien que l’utilisation du MaxMax CC2 devient caduque. Pour ces objectifs, seul l’emploi d’un filtre jaune type Tiffen 12 est requis.
Pendant la prise de vue
Une fois les filtres nécessaires vissés devant l’objectif, la prise de vue ne diffère pas d’une prise de vue classique. Il est cependant primordial de réaliser une balance des blancs personnalisée sur charte gris neutre avant de débuter.
Les photos réalisées ainsi offrent une végétation aux tons violets et un ciel vert.
Après la prise de vue
Les fichiers numériques issus de la phase de prise de vue doivent suivre un processus de répartition de leurs composantes colorimétriques. Cette répartition diffère cependant de la classique inversion des couches rouge et bleue.
En sortie de boitier, les fichiers RAW disposent de la répartition colorimétrique suivante :
- Couche rouge : rouge + signal infrarouge.
- Couche verte : vert + signal infrarouge.
- Couche bleue : signal infrarouge.
Pour retrouver la répartition colorimétrique de la pellicule Aerochrome après développement, il faut donc effectuer la répartition suivante, à l’aide de l’outil « mélangeur de couches » de Photoshop par exemple :
- Couche rouge –> couche bleue.
- Couche verte –> couche rouge.
- Couche bleue –> couche verte.
Je vous conseille ici de réaliser une nouvelle balance des blancs sur le fichier après mélangeur de couches, en vous basant par exemple sur les valeurs de teinte et de balance des blancs obtenues sur une charte gris neutre ayant subi le même processus.
A la suite de cette étape, la nouvelle répartition colorimétrique du fichier RAW est la suivante :
- Couche rouge : signal infrarouge.
- Couche verte : rouge + signal infrarouge.
- Couche bleue : vert + signal infrarouge.
Cette répartition est identique à celle de la pellicule Aerochrome après développement, si ce n’est que les couches verte et bleue sont « polluées » par le signal infrarouge. En théorie, il faudrait donc soustraire le signal infrarouge présent dans la couche rouge des deux autres couches :
- Couche rouge = couche rouge.
- Couche verte = couche verte – couche rouge.
- Couche bleue = couche bleue – couche rouge.
En pratique, la soustraction entre les couches colorimétriques est plus ardue qu’une simple inversion. Hormis passer par un logiciel scientifique comme LabVIEW, cette dernière étape nécessite plusieurs ajustements dans le mélangeur de couches et surtout un recalage de la balance des blancs. D’autant que ces ajustements sont propres à chaque marque de capteurs. Il vous faudra donc persévérer jusqu’à trouver les bons réglages.
A cette étape, il ne vous reste plus qu’à poursuivre votre flux de développement numérique suivant le résultat que vous souhaitez obtenir. Personnellement j’assombris les tons moyens et j’éclaircis les tons clairs afin d’assombrir fortement les rouges tout en gardant une exposition globale
Alternatives à l'Aerochrome infrarouge numérique
La méthode de simulation de l’Aerochrome infrarouge décrite dans cet article assure d’obtenir un rendu identique à l’emploi d’une pellicule Aerochrome. Cette méthode nécessite de bonnes connaissances en physique de la lumière et en outils de post-production, et s’adresse donc à des photographes expérimentés.
Des alternatives matérielles et logicielles existent pour obtenir plus facilement un rendu de végétation rouge en photographie infrarouge.
Mélange de couches alternatif avec un filtre infrarouge 595nm
Le filtre infrarouge coupant à 595nm est connu pour le rendu jaune vif qu’il offre à la végétation. En effectuant un mélange des couches colorimétriques alternatif à l’inversion des couches rouge et bleue, le jaune devient rouge et le bleu du ciel tend vers le cyan / vert.
Le mélange correspondant est le suivant :
- Rouge = Bleu.
- Vert = Rouge.
- Bleu = Rouge
Le résultat est beaucoup moins subtil qu’avec la technique d’Aerochrome numérique, mais permet de diversifier facilement le rendu de la végétation.
Filtre IR Chrome de Kolari Vision
Le filtre IR Chrome représente un tournant majeur dans la pratique de la photographie infrarouge numérique. Développé par Yann Philippe, produit par Kolari Vision, ce filtre permet d’obtenir une végétation rouge dès la prise de vue, sans besoin d’inverser les couches colorimétriques en post-traitement. De plus, le filtre IRChrome est nettement moins sensible aux hotspots que les filtres infrarouges classiques, et peut donc être utilisé avec la majeure partie des gammes optiques récentes.
Sur l’exemple ci-dessous, de simples ajustements sous Lightroom ont été réalisés entre le fichier RAW (gauche) et le résultat final (droite) :
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Pierre-Louis Ferrer
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